Il me tardait de renouveler l’escalade des mythiques cols alpins réalisée en 2013 avec Stéphane, aussi le BRA organisé les 22 et 23 juillet 2017 faisait-il partie de mes principaux défis de l’année. Cette cyclo-montagnarde, la plus renommée, consiste à gravir les cols de la Croix de Fer, du Mollard, du Télégraphe, du majestueux Galibier et enfin du Sarenne, soit un parcours de 245 km avec plus de 5600 m de dénivelé. Ce brevet peut être réalisé dans la même journée, pour les plus téméraires, ou sur deux jours. Cette dernière formule, appelée aussi « tourisme », me paraissait la plus appropriée. Compte tenu de ma cécité, il me fallait trouver un pilote de tandem en mesure de m’accompagner dans cette folle aventure. Daniel Calmels, licencié au club de Chilly-Mazarin (91), a répondu favorablement à ma sollicitation. La petite reine fait partie de son ADN. Outre le fait qu’il soit indéniablement un cyclotouriste émérite, c’est également un excellent tandémiste adorant les challenges.
Partis la veille de Paris jusqu’à Grenoble, en TGV, nous poursuivions en tandem afin de rejoindre Vizille, précisément le gymnase situé dans le parc du château, pour notre enregistrement. Le samedi 22 juillet, nous prenons le départ vers 7 H 40, perdus au milieu d’une foule de cyclotouristes. Par chance, nous avons une météo des plus clémentes comparée aux trombes d’eau tombées la veille au soir. Nous attendons patiemment notre tour puisqu’il nous faut passer sur des bandes magnétiques, comme ce sera le cas au passage de chaque col et à l’arrivée. Ce système numérique permet, grâce à une puce mise sur le cadre des vélos, un suivi personnalisé des participants.
La mise en jambes commence par 25 km de faux-plat sur une voie très passante remontant la vallée de la Romanche, avant d’atteindre Rochetaillée. Nous voilà partis pour une ascension d’une trentaine de kilomètres qui ne sera pas aisée. La difficulté de ce col réside notamment dans sa longueur mais aussi son irrégularité, mêlant des pourcentages difficiles et des courtes descentes. A Allemont, situé au pied du barrage du Verney, la pente est soutenue jusqu’au Rivier d’Allemond, un joli village niché dans la vallée de l’Eau d’Olle, où se trouve un ravitaillement bien garni. Nous avons à peine le temps de souffler un peu qu’une courte mais forte descente suivie par une belle rampe nous mène au barrage de Grand Maison. Prévenu, Daniel change de braquet au bon moment mais, malencontreusement, nous sommes stoppés dans notre élan par une voiture à l’arrêt laissant descendre un autre véhicule. Nous longeons l’immense lac de Grand Maison et continuons tranquillement notre progression, laissant le col du Glandon à notre gauche, que j’avais déjà escaladé en 2013. Nous sommes maintenant à 2067 m et, comme c’est le cas pour la plupart des participants, une photo est prise devant le col de la Croix de Fer. Après avoir admiré le panorama donnant sur les aiguilles d’Arves, nous plongeons prudemment avec un enchaînement de plusieurs virages comportant des gravillons. Heureusement, le tandem de Daniel est équipé de freins hydrauliques à disques permettant un freinage efficace et sécurisant. Nous atteignons Saint-Jean-d’Arves, où la pause déjeuner est la bienvenue. Cependant, L’attente est longue avant de recevoir notre plateau repas par les bénévoles cyclotouristes grenoblois (CTG). Après cette coupure, nous descendons jusqu’au pont de Belleville, où s’amorce l’ascension du col du Mollard d’une longueur de 6 km. La rampe, plus forte au début, s’adoucit un peu par la suite. En plein milieu du col, du côté gauche de la route, une intrigante scénette attire notre attention. Des mannequins, grandeur nature, représentant une famille, sont aux premières loges pour regarder le passage des petites reines. Devant cette originalité, nous ne pouvons qu’être admiratifs et adressons toutes nos félicitations aux concepteurs de cette belle réalisation. Nous continuons la montée, le soleil au zénith chauffe, les cuisses aussi, en raison du final qui se durcit jusqu’au sommet. Comme à l’accoutumée, le tandem ne passe jamais inaperçu. Il déclenche de la curiosité, de l’étonnement et favorise la conversation. Evidemment, de nombreux participants nous doublent et beaucoup d’entre eux, connaissant la difficulté pour un tandem de monter les côtes, viennent nous saluer et nous encouragent. Tous ces soutiens nous stimulent pour aller au bout de ce défi. Parvenus en haut du col du Mollard, à 1638 m, nous poursuivons avec une longue descente sinueuses par Villargondran, jalonnée de multiples lacets en épingle. Je n’ai pas la présence d’esprit de les compter mais d’après les organisateurs il y en aurait 46. Curieusement, très peu de cyclistes empruntent cette route. L’explication se fait jour par la suite, il s’avère qu’une erreur de fléchage nous a orienté sur cet itinéraire. Daniel reprend donc le bon tracé. Il nous faut ensuite remonter la vallée de la Maurienne sur une artère à fort trafic, bordées d’un paysage dénué d’intérêt. Nous avançons péniblement jusqu’à Saint-Michel-de-Maurienne, non à cause de la difficulté mais du fait d’un certain émoussement psychologique, ces kilomètres étant usants. Juste avant d’entrer dans la localité, Daniel remarque que le pneu avant n’est pas assez gonflé, pourtant la pression avait été faite la veille. Il pressent une crevaison lente, cela pourrait expliquer aussi notre piètre rendement. Nous profitons de cet incident pour prendre une collation dans une boulangerie, eu égard au déjeuner frugal. Ensuite, nous nous mettons en quête d’un magasin de cycles. Nous avons alors la chance inespérée de croiser des bénévoles du CTG devant le lycée agricole. Ils nous proposent spontanément une pompe à pied afin de regonfler après réparation. Daniel inspecte minutieusement mais étrangement ne trouve rien de suspect au niveau du pneu et de la chambre à air. Cette dernière est quand même changée par mesure de sécurité. Nous repartons en direction du col du Télégraphe, une ascension de 12 km. La circulation animée par un flot incessant de motards n’est pas des plus reposantes pour les oreilles. Nous grimpons essentiellement dans la forêt, dont seuls les sapins sont visibles. Cette montée nous paraît interminable. Il faut l’avouer, les effets de la fatigue se font ressentir, les efforts soutenus depuis ce matin nous pèsent physiquement. Ce sont des cols qui demandent patience et humilité. A force de volonté, nous nous hissons au sommet du col du Télégraphe, culminant à 1566 m. Il reste encore 5 km de descente à parcourir pour rejoindre Valloire, prolongés par une belle rampe jusqu’au hameau des Verneys, lieu de notre couchage. Après l’apéritif offert par les organisateurs, suivi par une douche et un bon repas, nous sommes revigorés et les muscles libérés de leurs toxines. Au gite, nous sommes ravis de rencontrer et de discuter avec les époux Lalande, adhérents de mon club, inscrits également à cette épreuve. Durant cette journée, j’étais tout ouïe lorsque Daniel me dépeignait la variété des paysages qu’il contemplait. Tous mes sens étaient en éveil, à l’affût des moindres odeurs de la flore mais aussi à l’écoute du murmure apaisant des nombreuses cascades, les gazouillis d’oiseaux et les sifflements des marmottes n’étant pas en reste. En outre, le tintement des clarines trahissait la présence de bovins qui, j’imagine, devaient paisser tranquillement dans les pâturages. Le lendemain matin, sous un ciel clair, nous enfourchons le tandem, prêts à affronter la deuxième partie du brevet. Nous suivons la Valloirette, un torrent d’altitude, afin d’atteindre le plan Lachat avec une pente modérée. Après le passage du petit pont, la route qui serpente grimpe beaucoup plus nettement pendant 8 km, et cela sans aucun répit jusqu’au Galibier. Les 2000 mètres sont atteints et le paysage change, c’est la haute montagne, nous avons droit à un décor où la végétation se raréfie avec des étendues herbeuses fleuries et des rochers. Pour corser la difficulté, voilà qu’Eole s’en mêle. Pour braver les puissantes rafales de vent, le tout petit braquet (26/26) ne nous quittera plus. Il nous faut coûte que coûte garder le rythme de pédalage. Les distances en montagne et en plaine n’ont pas la même valeur, et ces derniers kilomètres sont ardus. Dans ces conditions, le mental joue un rôle primordial. Après d’ultimes virages, terriblement pentus, nous nous hissons enfin jusqu’au sommet, ce qui nous emplit d’une joie immense. Coïncidence amusante, nous retrouvons au ravitaillement Dominique et Jean-Pierre Lalande. Cette pause, ô combien méritée, permet d’apprécier le somptueux décor qui s’offre à nous et de réaliser ensemble quelques photos. Nous dévalons ensuite une belle et longue descente ponctuée de paysages à couper le souffle. C’est le moment de savourer pleinement les sensations grisantes qu’elle procure. J’ai une confiance aveugle en mon pilote, l’expression n’a jamais été aussi juste. Daniel négocie avec dextérité les multiples lacets et nous franchissons le col du Lautaret à 2058 m. A la Grave, nous faisons un petit arrêt pour admirer le glacier de la Meije enneigé. Daniel se rappelle l’avoir vu auparavant avec une couverture de glace plus importante. En effet, ce glacier perd hélas 20 m de neige tous les ans à cause du réchauffement climatique. On continue à se laisser glisser, parés de nos gilets fluorescents et autres lumières, afin de passer les trois tunnels. En raison de travaux, nous devons emprunter la route de secours du lac du Chambon. Daniel est attiré par une belle cascade, dont nous demandons l’appellation à un bénévole du CTG, placé à cet endroit pour la sécurité et aiguiller les participants. Il répond que nous ne pourrons oublier ce nom puisqu’il s’agit de la cascade de la Pisse. Après le barrage du Chambon, nous tournons à gauche et un panneau indique « col de Sarenne : 14 km ». Ce col de 2000 – 1 m est à présent connu grâce au Tour de France 2013. Les coureurs l’ont descendu à l’occasion de la 18ème étape et de ses 2 ascensions de l’Alpe d’Huez, proche voisin qui avaient tendance à l’éclipser. Dès le début de l’ascension, la route se cabre, nous obligeant à rouler avec un petit braquet. Il faut donc s’armer de patience jusqu’à Mizoën, où nous avons 1 km de descente. Il reste encore 11 km et plus de 825 m de dénivelé à grimper. Les derniers kilomètres sont coriaces. Je commence à peiner mais Daniel m’encourage. Cette solidarité dans l’effort constitue tout l’avantage du tandem, quand l’un donne des signes de faiblesse l’autre peut compenser. Dans le cas présent, le décor somptueux et sauvage, ainsi que la faible circulation, nous adoucissent l’épreuve. Nous voici enfin arrivés au sommet qui se trouve sur un plateau verdoyant, au niveau duquel un contrôle nous attend. Après des montées courtes jusqu’à l’Alpe d’Huez, nous empruntons en descente ses 21 lacets, devenus mythiques, afin de rallier Bourg-d’Oisans. Les difficultés sont maintenant terminées et ce dernier ravitaillement permet de profiter de boissons fraîches, fort bienvenues compte tenu de la chaleur. Pour rallier Vizille, les trente derniers kilomètres sur la nationale, le long de la vallée de la Romanches en faux-plat descendant, ne sont qu’une formalité. Sur ce terrain favorable au tandem, malgré le vent de face, nous n’hésitons pas à nous faire plaisir. Tel un métronome, Daniel imprime une cadence soutenue et le Tandem à Grande Vitesse (TGV) fonce à vive allure. Nous voici arrivée au château de Vizille à 17 H 20. Par inadvertance, nous ratons le portique d’arrivée finalisant le parcours, quelques mètres supplémentaires et c’est gagné ! Nous recevons une salve d’applaudissement des organisateurs, des cyclotouristes et des spectateurs. Encore un beau défi réussi et je m’empresse de remercier vivement Daniel, mon pilote. Que de sueur laissée sur le bitume mais à la clé, ce brevet alpin me laissera pour longtemps d’excellents souvenirs et des anecdotes gravées à jamais dans ma mémoire. Comme la plupart du temps, sur les 1492 participants, nous étions le seul équipage tandémiste à escalader les six cols prévus au programme. Toutes mes félicitations à l’équipe de bénévoles du CTG pour leur accueil, leur sourire et leur totale implication pour faire de cette 49ème édition une belle réussite.
Texte de Joseph Agro assisté de Michel Vilpoix pour la mise en page